samedi 7 février 2009

le court métrage "La Traversée "vu par les critiques

Tunisie tout courts
Des films et… des sensibilités

Asma Drissi
La Presse 10/01/09

«Tunisie tout courts» est, en fait, une vitrine sur notre production cinématographique, un bric-à-brac de tout ce qui s’est fait l’année écoulée en termes de courts métrages. Une production dense, certes, mais la qualité n’est pas toujours au rendez-vous.
Certains sortent, bien entendu, du lot et nous relèvent la diversité des styles et des univers de ces cinéastes, dont Chassé-croisé de Mohamed Ben Becher et La traversée de Nadia Touijer.




Chassé-croisé : touchant et fleur bleue

Mohamed Ben Becher n’est pas à sa première expérience cinématographique, mais son quatrième court-métrage Chassé-croisé est de loin le plus abouti. Présenté dans le cadre des soirées du court-métrage tunisien le week-end dernier, ce film ressemble le plus à son auteur, à son univers et surtout à sa sensibilité artistique. Chassé-croisé est une histoire d’amour compliquée où se mêlent histoires de cœur et histoires d’amitié. Monia, Malek, Sofiène et Sami ont grandi ensemble. Ils ont partagé tous les jeux d’enfants sur la terrasse de l’immeuble. Et comme le dit la chanson, la vie sépare ceux qui s’aiment, chacun part de son côté pour réaliser ses rêves. Le retour de Sofiène de France est un événement déclencheur. La quatrième partie du puzzle vient compléter le tableau. Sauf que le temps de l’innocence est bien loin, et le jeu est devenu un jeu d’adultes : on s’aime, on se déchire, on se sépare, on se trahit et on y laisse des plumes. Un chassé-croisé entre ces quatre amis brise la quiétude de ce tableau de «famille», mais la scène finale du film (un autre flash-back) semble nous dire que ces histoires de cœur ne peuvent point briser les vraies amitiés. Pour porter à l’écran cette histoire, Ben Becher entreprend un va-et-vient entre passé et présent. Un présent réaliste et des souvenirs plutôt oniriques. Ce passé qui vient éclairer le présent— de la narration— «trahit» ces personnages et nous donne des indices pour saisir toute leur fragilité. Ben Becher se place en spectateur et porte un regard tendre sur ses personnages, le jeu intérieur accentué par l’économie des dialogues donne à cette histoire une dimension psychologique. Le bonheur, ou la quête du bonheur, thème récurrent dans les films de Mohamed Ben Becher, donne à l’œuvre un côté touchant, un peu fleur bleue, même si, par moments, il force un peu la dose, surtout dans la scène où on étale des pétales de roses sur le lit de Monia. Mohamed Ben Becher se laisse entraîner dans un élan de romantisme, ça plaît mais donne au film un côté naïf hors propos.
Traversée : une approche très humble

La traversée de Nadia Touijer est le deuxième film marquant de ces soirées, sélectionné dans la compétition officielle court-métrage des JCC 2008. Ce film s’est distingué par son aspect peu conventionnel dans le cinéma tunisien, son rythme et le style de sa narration. Dans la veine du cinéma iranien, Nadia Touijer nous entraîne dans un parcours contemplatif de la ville et ses contrastes à travers la traversée d’Amine, un enfant de 8 ans. L’objectif de cette traversée est de déposer un album d’autocollants, un jeu qui lui permettra de gagner une bicyclette. La caméra épouse par moments le point de vue de l’enfant, parfois elle l’abandonne pour nous offrir des plans variés de la métropole. Le regard du petit garçon croise celui d’un clochard qui le fait dévier de sa trajectoire et abandonner sa marche pour lui emboîter le pas. Cette fiction se nourrit de la réalité et qui déverse dans le documentaire, tels des vases communicants. Et de cet univers hostile, Nadia Touijer sait y mettre quelques touches de poésie en étant à l’écoute de son univers pour en saisir les subtilités de ses détails. Mais La traversée manquait de péripéties, elle est restée une simple marche vers un objectif connu d’avance, et même quand un élément nouveau intervient, et que la magie opère dans un simple échange de regards, il n’est pas pour le moins déterminant dans le cours de l’histoire. Dommage que pour ce film silencieux, quasi méditatif, Nadia Touijer n’ait pas su développer cette relation entre le petit enfant et le clochard, et que le film soit resté linéaire jusqu’à la fin pour y découvrir la chute. La traversée de Nadia Touijer dépasse la simple histoire du film, c’est plutôt une approche minimaliste et humble de voir le cinéma.
Asma Drissi

La Presse

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